J'ai rassemblé ici les extraits de deux discours qui permettent de comprendre la position européiste et fédéraliste de Jean Monnet, et donc de comprendre d'où vient la fameuse "méthode" qui porte son nom. Si je ne cherche pas ici à commenter ces discours, simplement à le mettre à disposition de mes lecteurs comme une source, je me suis cependant permis de mettre certains passages en gras lorsqu'ils me paraissaient particulièrement pertinents dans le contexte de ce blog.
JEAN MONNET :
Les Etats-Unis
d’Europe ont commencé
Suivi de :
Une Europe Fédérée
« Les Etats-Unis d’Europe ont commencé »
[…]
« Des institutions
communes… »
Ce que nous sommes en
train de faire, et ce sera là la mesure de notre réussite, c'est d'éprouver si
une autorité librement créée par six nations séparées pendant de longs siècles
par leurs souverainetés nationales peut prendre ses décisions dans l'intérêt de
ces six nations et les voir exécuter par les entreprises et les nations.
C'est la première fois
depuis des siècles, que l'Europe est en train de faire cela.
La Communauté du
Charbon et de l'Acier a fait l'objet d'une proposition du Gouvernement français
en 1950 en tant que – pour emprunter ses propres termes – premiers pas vers une
fédération européenne. Son ultime objet est de contribuer essentiellement à la
création des Etats-Unis d'Europe. Son objet immédiat est, en ce qui nous
concerne, de créer un marché commun et libre du charbon et de l'acier entre ces
six nations. Le charbon et l'acier ont été choisis à cet effet parce qu'ils
constituent à nos yeux les éléments de base de l'économie moderne.
La méthode choisie
consiste à déléguer à des institutions communes les pouvoirs souverains de
chacune de ces six nations. A cet effet, un Traité a été négocié entre les six
nations, signé par leurs Gouvernements et soumis à la ratification des six
parlements.
C'est ici qu'on touche
du doigt le principe fondamental de la création de l'Europe, – le transfert,
effectué en toute liberté, de pouvoirs souverains par des nations qui n'ont
subsisté jusqu'ici que sur la base de leur souveraineté nationale et qui
délèguent maintenant une partie de cette souveraineté à des institutions
communes qui l'exerceront en leur nom.
Je tiens à souligner
particulièrement ce point parce que la forme de cette révolution démocratique
et pacifique que l'Europe subit actuellement aboutira, nous en sommes
persuadés, à la création des Etats-Unis d'Europe.
Les pouvoirs
souverains qui ont été délégués à des institutions communes sont exercés par un
jeu d'organismes qui sont les premiers organismes fédéraux de l'Europe. Il
existe un système de contrôle et d'équilibre qui assure un contrôle
démocratique de toutes les décisions.
L'organe exécutif est
la Haute Autorité ; le parlement est constitué par l'Assemblée élue par les six
parlements nationaux ; il y a la Cour de Justice à qui peuvent s'adresser tous
Gouvernements ou tous intéressés lorsqu'ils estiment que la Haute Autorité a
outrepassé ses pouvoirs.
La Haute Autorité est
assistée d'un Comité Consultatif qui comprend en nombre égal des producteurs,
des utilisateurs et des travailleurs. En vue d'harmoniser la politique suivie
par cette Communauté du Charbon et de l'Acier avec les politiques nationales
appliquées à d'autres secteurs économiques, il existe le Conseil de Ministres
des six nations.
•••
Dans la description du
fonctionnement de ces institutions je voudrais mettre en relief un point que
nous considérons comme essentiel, à savoir que toute décision de la Haute
Autorité doit, avant qu'elle soit prise, faire l'objet d'une discussion avec le
Comité Consultatif et, fréquemment, avec le Conseil de Ministres, mais la
décision est du ressort de la Haute Autorité.
La responsabilité des
décisions appartient donc, ainsi qu'il se doit, à l'exécutif et ces
consultations constituent la plupart du temps notre explication publique.
D'autre part, la Haute Autorité est responsable devant l'Assemblée. L'Assemblée
tient un débat sur l'action de la Haute Autorité et si elle ne l'approuve pas,
l'Assemblée peut obliger la Haute Autorité à se démettre. C'est ainsi qu'avec
la Communauté du Charbon et de l'Acier nous nous trouvons devant les premiers
organes fédéraux de l'Europe, devant le principe fondamental du transfert de
souveraineté. Nous espérons en persévérant dans cette voie que l'Europe
fusionnera finalement en investissant des institutions communes des éléments
essentiels de la souveraineté des Etats, de ces mêmes Etats qui ont été séparés
et opposés en Europe pendant si longtemps et avec des conséquences si
catastrophiques.
Le principe d'une
règle commune, d'une loi commune et d'institutions communes s'appliquera sans
discrimination. Nous avons un début de premier marché libre sans droits de
douane et sans discrimination aucune en ce qui concerne deux principales
marchandises et, après son extension, ce marché deviendra un marché commun
européen pour 150 millions de consommateurs tel que celui que vous avez aux
Etats-Unis.
(1)
•••
Pour la première fois,
les relations traditionnelles entre les Etats sont transformées. Selon les
méthodes du passé, même lorsque les Etats européens sont convaincus de la
nécessité d'une action commune, même lorsqu'ils mettent sur pied une
organisation internationale, ils réservent leur pleine souveraineté. Aussi
l'organisation internationale ne peut ni décider, ni exécuter, mais seulement
adresser des recommandations aux Etats. Ces méthodes sont incapables d'éliminer
nos antagonismes nationaux qui s'accusent inévitablement tant que les souverainetés
nationales elles-mêmes ne sont pas surmontées.
Aujourd'hui au
contraire, six Parlements ont décidé, après mûre délibération et à des
majorités massives, de créer la première Communauté Européenne qui fusionne une
partie des souverainetés nationales et les soumet à l'intérêt commun.
Dans les limites de la
compétence qui lui est conférée par le Traité, la Haute Autorité a reçu des six
Etats le mandat de prendre en toute indépendance des décisions qui deviennent
immédiatement exécutoires dans l'ensemble de leur territoire. Elle est en
relations directes avec toutes les entreprises. Elle obtient des ressources
financières, non de contributions des Etats, mais de prélèvements directement
établis sur les productions dont elle a la charge.
Elle est responsable,
non devant les Etats, mais devant une Assemblée européenne. L'Assemblée a été
élue par les Parlements nationaux ; il est déjà prévu qu'elle pourra être élue
directement par les peuples. Les membres de l'Assemblée ne sont liés par aucun
mandat national ; ils votent librement et par tête et non par nation. Chacun
d'eux ne représente pas son pays, mais la Communauté entière. L'Assemblée
contrôle notre action. Elle a le pouvoir de nous retirer sa confiance. Elle est
la première Assemblée européenne dotée de pouvoirs souverains.
Les actes de la Haute
Autorité sont susceptibles de recours en justice. Ce n'est pas devant les
tribunaux nationaux que de tels recours seront portés, mais devant un tribunal
européen, la Cour de justice.
Toutes ces
institutions pourront être modifiées et améliorées à l'expérience. Ce qui ne
sera pas remis en question, c'est qu'elles sont des institutions
supranationales et, disons le mot, fédérales. Ce sont des institutions qui,
dans la limite de leur compétence, sont souveraines, c'est-à-dire dotées du
droit de décider et d'exécuter.
Le charbon et l'acier
ne sont toutefois qu'une partie de la vie économique. C'est pourquoi une
liaison constante doit être assurée entre la Haute Autorité et les
Gouvernements qui demeurent responsables de la politique économique d'ensemble
de leurs Etats. Le Conseil de Ministres a été créé, non pour exercer un
contrôle ou une tutelle, mais pour établir cette liaison et assurer l'harmonie
entre la politique de la Haute Autorité et celle des Etats membres.
(2)
•••
C'est pourquoi il y a
une différence fondamentale entre le Conseil de Ministres de la communauté et
les organisations internationales auxquelles nous étions jusqu'ici habitués.
Sauf dans des cas exceptionnels, la règle de l’unanimité a été abandonnée pour
ses délibérations. Il s’agit en effet pour le Conseil de dégager une vue
commune, non de chercher un compromis entre les intérêts particuliers. Dans les
cas prévus par le Traité où votre accord est nécessaire pour les décisions que
la Haute Autorité doit prendre, vous vous trouverez associés de ce fait à
l’exercice de cette souveraineté nouvelle qui caractérise notre Communauté.
(3)
•••
En procédant à
l’installation de la Haute Autorité de la Communauté Européenne du Charbon et
de l’Acier, nous accomplissons un acte solennel. Nous prenons possession de la
charge qui nous a été confiée par nos six pays.
Chacun de nous a été
désigné, non par l’un ou l’autre de nos Gouvernements, mais d’un commun accord
des six Gouvernements. Ainsi, nous sommes tous ensemble les mandataires communs
de nos six pays : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et
chacun comprendra, j'en suis sûr, que je souligne en particulier ce grand signe
d'espoir : nous nous retrouvons ici, Français et Allemands, membres d'une même
communauté ; des intérêts vitaux de l'Allemagne et de la France relèvent d'une
Autorité qui n'est ni allemande ni française, mais européenne.
(4)
« Une Communauté
ouverte… »
« Pas de petite
Europe... »
Depuis la première
réunion de notre Assemblée à Strasbourg, nous avons marqué une double
préoccupation : établir des liens intimes entre nos institutions tout en ne les
confondant pas. En effet, nos institutions sont de nature différente : le
Conseil de l'Europe est fondé sur la notion de souveraineté nationale, la
Communauté du Charbon et de l'Acier, au contraire, est fondée sur la notion
nouvelle de fusion des souverainetés. La Communauté est une entité nouvelle et
souveraine. La Haute Autorité est l'exécutif de cette Communauté. L'Assemblée
de cette Communauté du Charbon et de l'Acier est souveraine, au même titre que
les parlements nationaux dans un domaine plus large. Notre Communauté ne se
développera bien que si toutes les mesures qu'elle prend sont rendues
publiques, expliquées publiquement, non seulement aux peuples de notre
Communauté, mais aux peuples qui n'en font pas partie. C'est particulièrement
le cas des pays membres du Conseil de l'Europe.
Je tiens à dire que
notre Communauté n'est ni une petite Europe, ni une Communauté restreinte. Ses
limites n'en sont pas fixées par nous. Elles sont fixées par les pays mêmes
qui, pour le moment, ne s'y joignent pas. Il ne tient qu'à eux que nos limites
en soient étendues et que les barrières qui séparent nos pays d'Europe, et dont
l'ambition de la Communauté du Charbon et de l'Acier est de commencer
l'élimination, soient progressivement, et d'une manière plus large encore,
abolies.
(5)
« Il ne dépend que d’autres de se joindre à
nous... »
L'établissement de
notre Communauté ne transforme pas seulement les relations entre nos six pays,
mais déjà celles d'autres pays avec l'Europe.
Au lendemain même de
l'entrée en fonctions de la Haute Autorité, et au moment où le Gouvernement
britannique réaffirmait sa volonté d'association, le Secrétaire d'Etat
déclarait, de Washington : « L'intention des Etats-Unis est d'apporter à la
Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier le soutien vigoureux que
justifie son importance pour l'unification politique et économique de l'Europe.
Etant donné l'entrée en vigueur du Traité, les Etats-Unis traiteront dorénavant
avec la Communauté les questions concernant le charbon et l'acier. »
Nous étions certains
du soutien des Etats-Unis ; mais leur décision de s'associer avec la Communauté
constitue un développement nouveau de leur politique dont nous mesurons toute
la portée.
(6)
•••
C'est la première fois
dans d'histoire qu'une grande puissance (7), au lieu de fonder sa politique sur
le maintien des divisions, apporte d'une manière continue un soutien résolu à
la création d'une grande Communauté fondée sur l'union de peuples jusque-là
séparés.
(8)
•••
Notre Communauté n'est
pas fermée sur elle-même : déjà, nous avons accueilli avec satisfaction les
délégations des pays qui sont venues rejoindre, à Luxembourg, celles de la
Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Mais au delà de ces relations, nous
souhaitons ardemment voir d'autres nations européennes devenir comme nous-mêmes
membres de cette Communauté, en acceptant les mêmes règles et les mêmes
institutions. Nous ne saurons jamais trop redire que les six pays qui forment
la Communauté sont les pionniers d'une Europe plus large, dont les limites ne
sont fixées que par ceux qui ne s'y sont pas encore joints.
Notre Communauté n'est
pas une association de producteurs de charbon ou d'acier : elle est le
commencement de l'Europe.
•••
Il ne dépend que
d'autres d'accepter ce même principe révolutionnaire (9) et de transférer à des
autorités communes une partie de leur souveraineté de façon que, dans cette
Europe qui a été divisée pendant tant de siècles et que les conflits des
cinquante dernières années ont amenée au bord du désastre, les parlements
consentent enfin à remettre à des autorités communes, qui fassent de ces
peuples d'Europe un même peuple, le pouvoir d'appliquer les mêmes règles, de
façon que ce continent, qui a des ressources suffisantes et qui a probablement
des capacités en hommes, en intelligence et en invention égales et peut-être
supérieures à celles qui sont réunies dans n'importe quelle autre partie du
monde, puisse enfin les utiliser pour sa prospérité et son bonheur au lieu de
les employer comme il l'a fait si longtemps pour sa destruction.
•••
Nous souhaitons que
les pays qui ne font pas partie de notre Communauté mais dont les membres
siègent au Conseil de l'Europe nous posent des questions. Nous sommes disposés
à y répondre et nous désirons sincèrement pouvoir continuer à fournir des
explications, car le développement de l'Europe ne peut résulter que d'une
compréhension commune.
C'est un point sur
lequel je veux insister : l'intérêt de chacun est bien servi par l'intérêt de
tous, et la création d'un marché européen n'implique de sacrifices pour
personne. Au contraire, il offre des possibilités nouvelles. Des acheteurs
nombreux permettent des productions massives et des spécialisations. Ces
éléments permettront à l'Europe d'augmenter sa productivité, ce qui, en
permettant des prix de revient réduits, entraînera une amélioration du niveau
de vie de l'ensemble de la population.
C'est une réalité
extrêmement simple que l'on ne voyait pas auparavant et que l'on commence à
entrevoir maintenant. C'est l'Europe, c'est le marché européen. Nous en faisons
l'expérience chaque jour.
Les oppositions ont
été multiples dans tous les pays au moment de la ratification du plan Schuman,
dans le mien particulièrement. Aujourd'hui, les mêmes opposants, qu'ils soient
de mon pays ou d'autres, se rendent compte des réalités. Ils voient quelque
chose qu'ils n'avaient pas encore vu. Avant, ils ne considéraient que leur
marché limité, fermé, protégé, pour la protection duquel ils avaient obtenu
subsides et droits de douane. Ils avaient peur du moindre changement. Ils ne
comprenaient pas les possibilités d'un marché de 150 millions de consommateurs.
Au cours de nos discussions
à venir avec le Conseil de l'Europe, nous croyons que, finalement, les autres
pays verront graduellement ce que nous avons vu nous-mêmes. Quand ils le
verront, ils voudront se joindre à nous et ainsi, petit à petit, se réalisera
l'extension du marché économique que vous souhaitez, et l'Europe elle-même
s'élaborera par l'exemple, par l'action et par la réussite.
•••
En ce qui concerne
l'U.R.S.S., la question essentielle pour nous est de savoir si nous avons
confiance en nous-mêmes.
En ce qui concerne les
Etats-Unis, il faut et il suffit que l'on agisse.
En ce qui concerne
l'Angleterre, il faut que nous réussissions dans notre entreprise. C'est tout.
Au cours d'un récent
voyage aux Etats-Unis, un journaliste m'a demandé : « Cette Europe que vous êtes
en train de faire, elle résulte de la pression soviétique ? » J'ai dit : Non.
L'Europe que nous sommes en train de faire n'est pas le fruit de la crainte.
Elle est le résultat de la confiance que nous avons en nous-mêmes et de la
certitude que si, enfin, les Européens comprennent ce qu'il y a chez nous de
qualités communes et de capacité, nous établirons un monde occidental qui
apportera à la civilisation tout entière, à la paix, à l'Amérique, à la Russie,
une sécurité qui ne pourrait pas être obtenue d'une autre manière.
(10)
•••
La Haute Autorité et
l'Assemblée Commune espèrent que notre Communauté, dont six pays ont assumé les
premiers risques et jeté les premières bases, s'élargira. Nous pensons aux pays
qui ont la liberté de prendre part à notre entreprise. Nous pensons aussi à
ceux des Européens qui n'ont pas aujourd'hui cette liberté et qui ont, dès à
présent, leur place parmi nous.
(11)
(1) 11 novembre 1953.
– Exposé devant la Commission Randall (commission américaine chargée d’étudier
les questions commerciales sur le continent européen). Paris.
(2) 10 août 1952. –
Séance d’Installation de la Haute Autorité. Luxembourg.
(3) 8 septembre 1952.
– Première réunion du Conseil de Ministres de la Communauté (réponse au
discours du Chancelier Adenauer qui présidait la séance). Luxembourg.
(4) 10 août 1952. –
Séance d’Installation de la Haute Autorité. Luxembourg.
(5) 28 mars 1953. –
Commission des Affaires Economiques de l’Assemblée Consultative du Conseil de
l’Europe. Strasbourg.
(6) 11 septembre 1952.
– Première session de l’Assemblée Commune. Strasbourg.
(7) Les Etats-Unis
d’Amérique.
(8) 19 juin 1953. –
Deuxième session ordinaire de l’Assemblée Commune. Strasbourg.
(9) Celui du
transfert, librement consenti et voté par les parlements, de parties de souveraineté
à une autorité commune.
(10) 15 juin 1953. –
Deuxième session ordinaire de l’Assemblée Commune. Strasbourg.
(11) 20 mai 1954. –
Deuxième réunion jointe des membres de l’Assemblée Commune de la Communauté et
de l’Assemblée Consultative du Conseil de l’Europe. Strasbourg.
"UNE EUROPE FÉDERÉE"
A l'occasion des élections européennes 2009,
retour aux origines, avec ce discours pour «Une Europe fédérée» prononcé par
l'un des pères de l'UE, le 30 avril 1952, devant le très influent et
prestigieux National Press Club de
Washington. Véritable auteur de la déclaration Schuman et, plus
largement, «inspirateur» de
l'unification européenne, selon une expression que le général de Gaulle voulait
blessante, Jean Monnet, personnage atypique, entendait faire du «pool
charbon-acier» le prélude aux États-Unis d'Europe. Rares cependant étaient
ceux, même parmi les pro-européens, qui partageaient son optimisme et son
enthousiasme. L'échec de la Communauté européenne de défense et de la
Communauté politique européenne, le décevra un temps mais rien, durant sa
longue vie, n'arrêtera son combat pour une Europe fédérale.
« Nous
nous trouvons à un moment opportun pour parler de la création de l'Europe. Nous allons sortir de la période des projets, des
négociations et des textes ; dans quelques semaines, les premières institutions
de l'Europe unie deviendront une réalité vivante. À ce moment décisif, comme il
est naturel, nous rencontrons des difficultés : elles sont les douleurs de
l'enfantement qui accompagnent la naissance des États-Unis d'Europe.
Parce que
les Américains en sont conscients, ils n'ont cessé de soutenir et d'encourager
nos efforts pour réaliser l'unité de l'Europe. Je crois que c'est la première
fois dans l'Histoire qu'un pays parvenu au degré de prépondérance qu'ont
atteint les États-Unis apporte un soutien actif et essentiel à l'effort que
font d'autres peuples pour se rassembler dans une communauté vigoureuse et
libre.
Il est
d'une importance universelle que l'Europe puisse vivre par ses propres moyens
et dans la sécurité, qu'elle soit pacifique et en mesure de continuer à
apporter sa grande contribution à la civilisation. Le chemin qui mène à tous
ses objectifs passe par l'unification.
Une Europe
fédérée est indispensable à la sécurité et à la paix du monde libre. Aussi longtemps que l'Europe restera morcelée, elle
restera faible, et sera une source constante de conflits. À l'époque moderne,
les conflits se généralisent inévitablement à l'ensemble du monde.
L'unification
permettra à l'Europe d'intensifier le développement de ses ressources. Elle
pourra ainsi, le moment venu, faire face aux besoins de ses habitants et
prendre sa part dans les charges de la défense commune, sans avoir à vous
demander de maintenir votre contribution.
L'unification
de l'Europe a, pour la civilisation, une portée qui dépasse même la sécurité et
la paix. L'Europe est à l'origine des progrès dont nous bénéficions tous et les
Européens sont aujourd'hui capables d'apporter au développement de la
civilisation, par leur esprit créateur, une contribution aussi grande que dans
le passé. Mais pour permettre à cet esprit créateur de s'épanouir à nouveau,
nous devons harmoniser nos institutions et notre économie avec l'époque
moderne. C'est en unifiant l'Europe que nous y parviendrons. [...]
En même temps que nous poursuivrons ensemble notre action pour l'unification de l'Europe, nous
continuerons notre effort pour réunir pacifiquement les Allemands de la
République fédérale et ceux de l'Est. Il est essentiel d'effacer les frontières
entre les nations européennes. [...]
L'unité
qui satisfera les aspirations légitimes des Allemands sans les exposer, ainsi
que le reste du monde, au recommencement d'un passé funeste, l'unité qui
facilitera l'établissement d'une paix durable est l'unité au sein d'une Europe
unie. [...]
Six pays
européens ne se sont pas engagés dans la grande entreprise d'abattre les
barrières qui les divisent pour dresser des barrières plus élevées contre le
monde extérieur. Notre époque exige que nous unissions les Européens et que
nous ne les maintenions pas séparés. Nous ne coalisons pas les États, nous
unissons des hommes.
Rien n'est
plus stérile que d'anticiper, dans le
contexte du présent, des questions qui se poseront seulement dans l'avenir,
alors que l'objet même de notre action est de transformer le contexte actuel.
Si nous attendons, pour agir, que toutes les questions aient trouvé leur
réponse, nous n'agirons jamais, nous n'atteindrons jamais la certitude attendue
et nous serons entraînés par les événements que nous aurons renoncé à orienter.
Nous
sommes résolus à agir. Nous sommes résolus à faire l'unité de l'Europe et à la
faire rapidement. Avec le plan Schuman et avec l'armée européenne, nous avons
posé les fondations sur lesquelles nous pourrons construire les États-Unis
d'Europe, libres, vigoureux, pacifiques et prospères.»
Enfin, en 1952, quelques semaines après la mise en place
des institutions de la CECA, Jean Monnet explique à la presse américaine : « Aussi
longtemps que l'Europe restera morcelée, elle restera faible, et sera une
source constante de conflits. […] Avec le plan Schuman et avec l'armée
européenne, nous avons posé les fondations sur lesquelles nous pourrons construire
les États-Unis d'Europe, libres, vigoureux, pacifiques et prospères. » (Jean Monnet, Discours devant le National Press Club, 30 avril 1952,
Washington)
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