Konrad Adenauer et du besoin d’agir pour l’Europe : Discours du 10 décembre 1951

 Konrad Adenauer exprime devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg l’orientation de la politique allemande dans le domaine des affaires européennes. Il y évoque clairement le besoin d’une profonde intégration européenne et démontre les efforts auxquels l’Allemagne a déjà consenti dans cette voie, invitant les autres pays à faire de même. L’idée de fin des nationalismes et d’une mise en commun d’une partie des souverainetés nationales résume la vision fédéraliste d’Adenauer.

KONRAD ADENAUER :

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, la politique européenne du Gouvernement fédéral s'est souvent exprimée dans ses décisions et dans ses actes. Il n'est, cependant, pas superflu d'exposer ici, une fois de plus, quelle est la ligne suivie par cette politique. Je suis même tout particulièrement heureux que l'invitation de l'Assemblée Consultative, pour laquelle je la remercie, m'offre l'occasion de parler, devant un auditoire qui peut affirmer avec raison représenter l'opinion politique européenne, d'un sujet politique qui retient notre intérêt à tous et engage notre responsabilité commune.

En effet, quoi qu'on ait dit du Statut actuel du Conseil de l'Europe pour le critiquer, et bien que ces critiques puissent être justifiées dans le détail, nous ne devons cependant pas oublier que l'existence de cette organisation européenne, même telle qu'elle se présente actuellement, revêt une très grande valeur politique.

Je me souviens encore très bien du Congrès de l'Europe tenu à La Haye en 1948 et auquel j'ai pris part.

Quand je pense à ce qu'était alors la situation, à ces nombreuses bonnes volontés, à tous ces efforts isolés qui se manifestaient sans pouvoir parvenir à réaliser l'essentiel - à savoir une Organisation politique durable de l'Europe - je dois dire que nous ferions bien, lorsque l'impatience nous prend, lorsque nous sentons que nous n'avons pas encore atteint nos buts, de nous rappeler ce qui a été réalisé entre temps. Et ce n'est pas peu.

Il est d'une grande importance pour le développement de l'Europe que d'avoir créé, avec les institutions du Conseil de l'Europe, une plate-forme sur laquelle les représentants de notre continent se rencontrent régulièrement pour exposer leurs soucis essentiels, leurs désirs et leurs espoirs et essayer de mettre au point des critères communs permettant d'évaluer leurs besoins et de coopérer dans un esprit de franchise et de bon voisinage. En d'autres termes, nous trouvons ici une expression de la conscience européenne. Il est de la plus grande importance également, d'avoir ici un centre où se réunit presque toute l'Europe, quelles que puissent être les différentes nuances de conception dans nos efforts, pour réaliser une organisation plus étroite de notre communauté. Dans chaque pays, la politique européenne recevra ses dernières impulsions de la volonté commune des peuples européens, mais nulle part cette volonté ne se manifeste aussi nettement, en tant que volonté commune, que, justement, au sein du Conseil de l'Europe.

Le Conseil de l'Europe, nous en convenons, n'est pas le seul cadre dans lequel s'accomplit la politique européenne et dans lequel se crée la réalité européenne. Il y a aussi la politique des gouvernements qui, appuyés par leurs parlements, prennent des mesures plus ou moins complètes en vue de réaliser la communauté européenne. Je ne songe pas seulement, ici, à l'Organisation Européenne de Coopération Économique, mais à tous les plans de plus en plus nombreux qui ont été mis en avant. Nous ne pouvons
nous faire une idée exacte de la politique européenne que si notre regard embrasse à la fois tous ces efforts et ce qui se passe à Strasbourg. La fonction essentielle du Conseil de l'Europe est de tenir éveillées la conscience et la volonté d'une communauté européenne. A l'heure actuelle la coordination des initiatives des gouvernements d'une part, et de celles du Conseil de l'Europe d'autre part, ne semble pas suffisante. Lors de la discussion d'un plan, le plus important et le plus actuel, celui de la communauté de défense européenne, une nécessité s'est révélée, comme M. Schuman l'a expliqué d'une manière si impressionnante tout à l'heure, celle d'envisager la création d'un organe politique qui, dans le cadre de la défense commune de l'Europe, aura à prendre des décisions politiques. Des problèmes politiques analogues se présentent en ce qui concerne le budget européen, rendu nécessaire par l'aspect financier de la défense européenne. Alors se pose le problème, du contrôle européen d'une politique financière commune.

Toutes ces questions se soulèvent au moment où l'on se trouve, au Conseil de l'Europe, également en présence de projets tout à fait concrets d'une organisation politique de l'Europe. On ne saurait donc trouver un instant plus propice pour un échange d'idées entre les représentants des gouvernements et les membres de cette haute Assemblée, d'autant plus qu'une solution des problèmes concrets auxquels je fais allusion est devenue urgente.

Vous savez tous que la situation mondiale ne permet plus de différer la solution du problème de la défense commune et que, par conséquent, les efforts des gouvernements intéressés sont arrivés, précisément ces derniers jours, à un tournant critique. Il me semble donc utile d'exposer en ce moment, dans leurs grandes lignes, les conceptions que quelques-uns de mes collègues et moi-même avons des problèmes de la politique européenne qui sont encore en instance.

Avant que je fasse cet exposé, permettez-moi une remarque préalable, qui me semble nécessaire pour pouvoir bien juger des problèmes européens. J'ai l'impression que la discussion souffre du fait que, partout, les questions sont posées sous la forme d'alternatives aiguës. On proclame qu'il doit en être ainsi. On ne se demande pas s'il n'y aurait pas une troisième solution. Il s'agit là, surtout, de deux questions que l'on s'est accoutumé à poser sous forme d'antithèses, celle du fédéralisme et celle du fonctionnalisme et, aussi, de deux autres thèses, celle d'une petite et celle d'une grande Europe. Je considère que l'on a tort de poser les questions de cette manière.

Pour réaliser pratiquement des solutions européennes, nous avons suivi des voies que maints critiques appellent les voies du fonctionnalisme, c'est-à-dire que nous avons envisagé la réalisation de certaines communautés économiques, dont la plus importante est celle du Plan Schuman. Nous avons suivi la même méthode en ce qui concerne le domaine de la défense européenne, mais nous l'avons toujours fait en ayant conscience que nous arriverions ainsi de la manière la plus rapide et la plus efficace à une solution politique.

Au cours des négociations visant à de telles solutions particulières, nous n'avons cessé de souligner deux choses: d'une part, que ces solutions spéciales particulières ne prennent tout leur sens que si on ne les considère pas séparément, c'est-à-dire qu'elles ont besoin, pour obtenir leur pleine signification, d'être complétées par une organisation politique; d'autre part, que c'est précisément en s'attaquant aux problèmes particuliers que l'on peut accélérer le mouvement vers l'Europe de la manière la plus efficace.

Je pourrais apporter de nombreux exemples à l'appui de ce que je viens d'avancer. Je me bornerai à en citer un seul. Si nous créons la communauté de la défense européenne, nous n'intégrons d'abord qu'un seul instrument, à savoir celui des forces de la défense. Nous mettons donc à la disposition des États membres de cette communauté une armée homogène, mais nous ne pouvons alors esquiver la question de savoir quel sera l'organe qui aura à décider de l'emploi de cet instrument. Or, c'est là une décision d'ordre politique. En poursuivant la réalisation du plan purement technique, purement militaire, nous nous trouvons donc nécessairement amenés à apporter une contribution décisive à l'intégration politique proprement dite de l'Europe.

Un problème analogue se présente en ce qui concerne les questions du budget de la défense européenne. Dans les deux cas, se pose la question inéluctable d'un contrôle parlementaire européen du pouvoir exécutif.

On voit donc que nous entrons ainsi directement et très rapidement dans la sphère de l'intégration politique.

De telles nécessités se présentant pour d'autres plans aussi, on comprendra aisément combien s'impose le besoin de définir d'une manière plus complète et de rendre plus complètes les compétences politiques européennes et combien sont grandes les chances de réussir par cette voie.

Il me semble aussi que l'antithèse «petite Europe ou grande Europe» a été portée à l'extrême dans la discussion. Il me paraît que le point faible de telles conceptions est d'avoir supposé qu'il n'y avait qu'une forme exclusive d'organisation permettant de réaliser la communauté européenne. Il est fort probable, cependant — même si les efforts européens suivent le cours le plus favorable — que la réalité sera tout autre.

Je pars aussi de l'idée qu'une participation aussi complète que possible de tous les pays européens à l'organisation permanente de l'Europe doit être le but définitif et suprême de nos efforts. En revanche, je crois que ce but permet fort bien l'existence de certaines relations plus étroites, de cercles moins étendus, au sein de la grande Europe. Je crois qu'il existera certaines communautés qui seront constituées de façon plus intense, plus dense; ce sont les États qui, dès maintenant, sont prêts à abandonner une partie de leur souveraineté à une communauté qu'ils auront créée.

Telle est l'idée fondamentale du Plan Schuman et du plan d'une communauté de la défense européenne. Or, ces organisations n'ont jamais été considérées par nous, ou par les autres gouvernements avec lesquels nous avons délibéré sur ce point, comme ayant un caractère exclusif. Nous ne cesserons, tout au contraire, de répéter que ces communautés non seulement restent ouvertes à tous les autres États européens, mais que nous considérons aussi comme possible et souhaitable que les États qui ne veulent pas y adhérer dans toute la force du terme s'y associent d'une façon moins stricte.

Une autre façon d'élargir le cercle des communautés particulièrement étroites a déjà été développée. Je citerai comme exemple la communauté de défense européenne qui, comme telle, appartient à la communauté atlantique. Dans l'exemple cité, la plus petite communauté est insérée dans la plus grande en qualité de membre et, de cette manière, se trouve établie une liaison organique des États membres de la communauté la plus restreinte avec ceux de la communauté la plus vaste.

Je fais cette remarque en songeant, notamment, à la Grande-Bretagne qui a déclaré que, pour certaines raisons politiques, il lui était impossible de participer à des organisations supranationales. Je tiens à déclarer également ici ce que j'ai déjà exprimé à diverses reprises en d'autres lieux, à savoir que nous souhaitons de la façon la plus vive que la Grande-Bretagne participe aux organisations européennes. Nous ne voulons ni ne pouvons renoncer, en réorganisant l'Europe, à la force et au talent politique de la Grande-Bretagne. Nous sentons trop bien que l'Angleterre, par son histoire, sa vie culturelle, économique et politique, est liée au sort
de l'Europe pour nous résigner à ce que la Grande-Bretagne ne participe pas aux événements européens de la façon la plus intense qui lui soit possible d'accepter.

Aussi, l'assentiment de la Grande-Bretagne au Plan Schuman et à la communauté de défense européenne, exprimé en toutes lettres dans la déclaration de Washington et réitéré encore heureusement au parlement britannique par le nouveau gouvernement anglais, représente un encouragement de valeur essentielle pour notre politique. Mais cette participation de la Grande-Bretagne, que nous souhaitons, il n'y a pas que la seule voie qui consiste à devenir membre de plein droit des communautés les plus étroites que nous voulons créer qui y mène. Cette participation peut se faire sous la forme d'association avec ces communautés, ou encore en insérant les petites communautés dans les grandes, ou en collaborant à l'Organisation Européenne de Coopération Économique ou en coopérant au sein du Conseil de l'Europe, pour ne nommer que les principales possibilités. Je ne crois donc pas le fait que la Grande-Bretagne se refuse, pour le moment, à participer aux communautés les plus étroitement unies, soit une raison pour ne pas créer ces communautés.

Tout au contraire, le sens des réalités, qui est un des points les plus forts avec lesquels l'Angleterre peut contribuer à former le destin de l'Europe, lui permettra certainement de trouver rapidement les possibilités pratiques de donner sa coopération dès que seront créées les réalités européennes. Ces remarques préalables permettent aisément de déceler quelle est l'attitude du gouvernement fédéral dans les questions de politique européenne. Notre politique européenne est positive, active et concrète. Elle est positive. En effet, le peuple allemand tout entier, à d'infimes exceptions près, se prononce en faveur de l'évolution européenne et désire que l'unité européenne trouve son expression sous une forme politique.

Une amère expérience a enseigné à notre peuple qu'il faut tendre toutes ses énergies pour maintenir, développer et défendre la culture occidentale si celle-ci doit survivre. Nous avons aussi pleinement conscience du fait que l'unité de l'Europe est depuis longtemps réalisée, non seulement dans le domaine culturel, mais dans le vaste domaine de la vie sociale de ses peuples. Ce fait trouve son expression plus que symbolique dans la convention des Droits de l'homme établie récemment sous les auspices du Conseil de l'Europe et que les gouvernements se sont engagés à respecter. La nécessité d'une intégration dans le domaine économique est non moins évidente.

Il y a quelques mois, le Président de cette haute Assemblée, en un brillant résumé, a fait une profonde et durable impression en Allemagne en exposant au Bundestag allemand, à Bonn, les raisons de la concentration des forces économiques de l'Europe. Il a attiré l'attention sur le fait que, dans les dernières dizaines d'années, la part de l'Europe dans l'ensemble de la production mondiale et la productivité européenne ont baissé à tel point que, depuis la fin de la première guerre mondiale, l'Europe n'a pu être maintenue viable, au point de vue économique, que par l'aide généreuse des États-Unis d'Amérique. Le Plan Marshall, a-t-il justement expliqué, n'est qu'une nouvelle forme, un nouvel aspect de ces faits anciens. Cette dépendance, devenue permanente, de l'économie européenne de subventions à fonds perdus du nouveau monde, ne peut prendre fin que si l'Europe se résout à une union de ses marchés et de sa politique sur de vastes espaces, comme cela est tenté par les industries clefs dans le Plan Schuman, d'une manière exemplaire. C'est seulement ainsi que peut être créé un espace économique d'une grandeur telle qu'il permette une politique économique procédant suivant un principe moderne, rationnel et économique.

La concentration des forces défensives est motivée par des considérations de même nature auxquelles on ne peut se soustraire. Une organisation homogène et stricte rehaussera la valeur des forces armées; la standardisation des équipements facilitera la rationalisation de la production des armements, sans parler, et c'est un point important, des avantages politiques extraordinaires que nous nous promettons du fait que les populations des diverses nations européennes se trouveront étroitement brassées dans une armée homogène.

Ce sont là des exemples que l'on pourrait multiplier. Il suffit de songer au problème des transports, des transports aériens également, aux problèmes de l'économie, de l'électricité, de l'agriculture, de la coopération scientifique, etc...

Lorsque l'Allemagne se prononce en faveur de l'Europe, il ne s'agit pas seulement d'une proclamation de pure forme, ou d'un programme ne l'engageant en rien. Le Gouvernement fédéral a l'obligation expresse de poursuivre une politique répondant à cette profession de foi. La Loi Fondamentale de la République fédérale contient déjà une disposition qui prévoit le transfert de droits de souveraineté à de plus grandes communautés. Une telle disposition représente en même temps une directive impartie au Gouvernement fédéral. Le Bundestag allemand a souligné, une fois encore, en toute forme, il y a un an et demi, cette directive. Récemment, encore, un peu avant la présente Session de cette haute Assemblée, le Bundestag a pris une décision autorisant les députés allemands, participant à cette Session, à coopérer, dans une large mesure, aux efforts faits en vue d'une intégration. Notre attitude, en ce qui concerne l'union européenne n'est donc plus une question qui se pose. La réponse y a été donnée sous la forme la plus formelle.

J'ai dit ensuite que la politique européenne du Gouvernement fédéral était active. Le Gouvernement fédéral est résolu à ne pas attendre que d'autres pays prennent l'initiative dans la question européenne. Il ne s'y oppose nullement, mais il veut prendre une part active à ces efforts. Je crois que l'on commet une faute en envisageant le problème européen sous l'aspect d'une contrainte extérieure voulue par le destin, et non pas comme une affaire intéressant l'initiative créatrice de l'Europe elle-même.

Il est exact que les conditions extérieures, qui ont engagé l'Europe à réfléchir sur une organisation politique moderne s'étendant à de vastes espaces, sont d'importance vitale. Si la menace extérieure qui pèse sur l'Europe est si grande, cela tient au fait que le potentiel qui menace de se dresser contre elle se trouve pratiquement réuni en une seule main. Loin de nous l'idée d'en tirer la conclusion que la constitution européenne devrait être conçue sur le modèle de l'État unitaire. Entre ces deux extrêmes, l'État unitaire et l'état actuel de l'Europe, il existe des solutions intermédiaires qui satisferont aux besoins d'unité tout en ménageant la variété traditionnelle des conditions, des coutumes et des intérêts particuliers légitimes des divers États. C'est là, précisément, ce que nous appelons une fédération. Nous ne pouvons encore fournir une image exacte de cette fédération. Nous savons seulement qu'elle sera une union embrassant les parties de l'activité des États qui permettent et peuvent promouvoir cette union, tout en permettant aux États membres de poursuivre, sans restriction, leur propre vie dans d'autres domaines.

Il est vrai, dis-je, que la conscience de cette menace venant de l'extérieur nous fait comprendre douloureusement combien est nécessaire et urgente l'union européenne. Il serait pourtant tout à fait faux de voir, dans cette contrainte extérieure, le seul motif, ou même le motif décisif de nos efforts, des efforts européens. L'effort européen, pour réaliser l'union, a des causes plus profondes et plus fortes. Ce sont des causes d'ordre interne. Nous nous trouvons en présence du désir des peuples d'organiser dorénavant en commun leur destinée politique. Ils sont convaincus que le moment historique est venu de prendre des mesures décisives. Ils ont compris, en effet, que l'ère du nationalisme touche à sa fin et que commence une évolution menant à de nouvelles et grandes unités. Ce n'est donc pas la fatalité qui pousse l'Europe à s'unir.

Il s'agit plutôt d'une impulsion créatrice digne de la grande tradition européenne, et c'est la raison pour laquelle cette nécessité subsistera même quand le danger aura déjà passé.

Enfin, la politique européenne du Gouvernement fédéral est concrète. Nous observons avec respect et admiration la grandeur de la conception, l'envol de l'idée et la passion raisonnée avec lesquels on s'est mis à l'œuvre afin de poser en une seule fois et immédiatement le si grand problème de l'unité de l'Europe. Une si grande exigence est, à nos yeux, la marque la plus sûre de la force de l'idée européenne, mais en tant qu'hommes politiques, en tant que réalistes, nous croyons qu'il faut être plus modestes. La politique c'est l'art du possible, a-t-on dit. En d'autres termes, elle doit, dans un sain réalisme, adapter ses actes aux circonstances; si on ne peut obtenir le tout, elle doit réaliser la partie réalisable et avoir, pour le reste, confiance dans la force de l'évolution. Un homme politique qui ne réaliserait pas ce qui est bon, parce qu'il ne peut obtenir ce qui est le meilleur, ou qui laisserait passer l'instant propice et ne prendrait pas la mesure possible dans le moment concret, parce qu'il croit que demain il réussira à faire un pas plus grand, agirait faussement.

Il nous semble donc que, dans la question européenne, s'applique également la maxime qui veut que l'on progresse pas à pas. C'est suivant cette maxime que nous avons agi jusqu'à maintenant.

Nous n'avons pas hésité à entrer au Conseil de l'Europe, à un moment où la qualité de Membre de plein droit nous était refusée. Nous avons pris part à l'élaboration du Plan Schuman, bien que nous ayons eu conscience que cette solution partielle était problématique et devait rencontrer maintes difficultés dans les rapports entre la politique économique de ceux qui sont unis dans la communauté, en ce qui concerne les industries et la politique économique particulière d'autres industries. Nous n'avons pas hésité à participer aux travaux d'une communauté défensive de l'Europe, bien que cette solution partielle ait montré nettement qu'elle avait besoin d'être complétée du côté politique. Nous nous sommes comportés de la même façon en ce qui concerne les autres plans, que l'initiative vînt du Conseil de l'Europe ou de certains gouvernements européens.

J'ai déjà exposé que nous ne nous sommes pas comportés ainsi parce que nous préférions une solution partielle à une bonne et solide solution d'ensemble. Si nous l'avons fait, c'est parce que nous croyions que cette méthode inductive offrait l'avantage de nous rapprocher des faits concrets qui garantissent une solution pratique et applicable, et aussi parce que nous sommes convaincus que ces solutions partielles tendent nécessairement à se coordonner, à fusionner, je dirai presque avec l'exactitude inéluctable d'une loi de la nature. Nous continuerons donc à appuyer tout effort concret, si restreint que soit son domaine d'application.

Tels sont les traits essentiels de notre politique européenne. Le Gouvernement fédéral d'Allemagne est résolu à persister dans cette voie, à redoubler d'énergie dans la voie de cette politique. En effet — vous me permettrez, Monsieur le Président, de terminer ainsi mon exposé — nous ne disposons pas d'un temps illimité pour réaliser notre programme. Les choses en sont arrivées au point où les peuples exigent de nous, avec impatience, des résultats concrets. Ne devons-nous pas nous demander maintenant si nous avons réellement fait tout ce qui est en notre pouvoir, si nous avons réellement pensé, en première ligne, à l'ensemble, à nos intérêts européens communs, si nous avons réellement fait passer au second plan nos intérêts particuliers, comme l'exige l'esprit d'une véritable communauté? Nous devons nous poser sans cesse ces questions. Nous devons, avant tout, avoir conscience que la faveur de l'instant historique ne reviendra plus.

Résumons donc tout ce qui caractérise la situation actuelle: contraintes extérieures, degré de maturité de la discussion politique, comme le prouvent les documents relatifs aux délibérations de cette haute Assemblée, le fait que les gouvernements sont prêts. Le mot d'ordre ne peut donc être que celui-ci: agissons, agissons rapidement. Demain, il pourrait être trop tard !

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