Konrad Adenauer
exprime devant le Conseil de l’Europe à Strasbourg l’orientation de la politique allemande
dans le domaine des affaires européennes. Il y évoque clairement le besoin
d’une profonde intégration européenne et démontre les efforts auxquels
l’Allemagne a déjà consenti dans cette voie, invitant les autres pays à faire
de même. L’idée de fin des nationalismes et d’une mise en commun d’une partie des
souverainetés nationales résume la vision fédéraliste d’Adenauer.
KONRAD ADENAUER :
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
la politique européenne du Gouvernement fédéral s'est souvent exprimée dans ses
décisions et dans ses actes. Il n'est, cependant, pas superflu d'exposer ici,
une fois de plus, quelle est la ligne suivie par cette politique. Je suis même
tout particulièrement heureux que l'invitation de l'Assemblée Consultative,
pour laquelle je la remercie, m'offre l'occasion de parler, devant un auditoire
qui peut affirmer avec raison représenter l'opinion politique européenne, d'un
sujet politique qui retient notre intérêt à tous et engage notre responsabilité
commune.
En effet, quoi qu'on ait dit du Statut
actuel du Conseil de l'Europe pour le critiquer, et bien que ces critiques puissent
être justifiées dans le détail, nous ne devons cependant pas oublier que
l'existence de cette organisation européenne, même telle qu'elle se présente
actuellement, revêt une très grande valeur politique.
Je me souviens encore très bien du Congrès
de l'Europe tenu à La Haye en 1948 et auquel j'ai pris part.
Quand je pense à ce qu'était alors la
situation, à ces nombreuses bonnes volontés, à tous ces efforts isolés qui se
manifestaient sans pouvoir parvenir à réaliser l'essentiel - à savoir une
Organisation politique durable de l'Europe - je dois dire que nous ferions
bien, lorsque l'impatience nous prend, lorsque nous sentons que nous n'avons
pas encore atteint nos buts, de nous rappeler ce qui a été réalisé entre temps.
Et ce n'est pas peu.
Il est d'une grande importance pour le
développement de l'Europe que d'avoir créé, avec les institutions du Conseil de
l'Europe, une plate-forme sur laquelle les représentants de notre continent se
rencontrent régulièrement pour exposer leurs soucis essentiels, leurs désirs et
leurs espoirs et essayer de mettre au point des critères communs permettant
d'évaluer leurs besoins et de coopérer dans un esprit de franchise et de bon voisinage.
En d'autres termes, nous trouvons ici une expression de la conscience
européenne. Il est de la plus grande importance également, d'avoir ici un
centre où se réunit presque toute l'Europe, quelles que puissent être les
différentes nuances de conception dans nos efforts, pour réaliser une
organisation plus étroite de notre communauté. Dans chaque pays, la politique
européenne recevra ses dernières impulsions de la volonté commune des peuples
européens, mais nulle part cette volonté ne se manifeste aussi nettement, en tant
que volonté commune, que, justement, au sein du Conseil de l'Europe.
Le Conseil de l'Europe, nous en convenons,
n'est pas le seul cadre dans lequel s'accomplit la politique européenne et dans
lequel se crée la réalité européenne. Il y a aussi la politique des
gouvernements qui, appuyés par leurs parlements, prennent des mesures plus ou
moins complètes en vue de réaliser la communauté européenne. Je ne songe pas
seulement, ici, à l'Organisation Européenne de Coopération Économique, mais à
tous les plans de plus en plus nombreux qui ont été mis en avant. Nous ne
pouvons
nous faire une idée exacte de la politique
européenne que si notre regard embrasse à la fois tous ces efforts et ce qui se
passe à Strasbourg. La fonction essentielle du Conseil de l'Europe est de tenir
éveillées la conscience et la volonté d'une communauté européenne. A l'heure
actuelle la coordination des initiatives des gouvernements d'une part, et de
celles du Conseil de l'Europe d'autre part, ne semble pas suffisante. Lors de la
discussion d'un plan, le plus important et le plus actuel, celui de la
communauté de défense européenne, une nécessité s'est révélée, comme M. Schuman
l'a expliqué d'une manière si impressionnante tout à l'heure, celle d'envisager
la création d'un organe politique qui, dans le cadre de la défense commune de
l'Europe, aura à prendre des décisions politiques. Des problèmes politiques
analogues se présentent en ce qui concerne le budget européen, rendu nécessaire
par l'aspect financier de la défense européenne. Alors se pose le problème, du
contrôle européen d'une politique financière commune.
Toutes ces questions se soulèvent au moment
où l'on se trouve, au Conseil de l'Europe, également en présence de projets
tout à fait concrets d'une organisation politique de l'Europe. On ne saurait
donc trouver un instant plus propice pour un échange d'idées entre les
représentants des gouvernements et les membres de cette haute Assemblée,
d'autant plus qu'une solution des problèmes concrets auxquels je fais allusion
est devenue urgente.
Vous savez tous que la situation mondiale
ne permet plus de différer la solution du problème de la défense commune et
que, par conséquent, les efforts des gouvernements intéressés sont arrivés,
précisément ces derniers jours, à un tournant critique. Il me semble donc utile
d'exposer en ce moment, dans leurs grandes lignes, les conceptions que
quelques-uns de mes collègues et moi-même avons des problèmes de la politique européenne
qui sont encore en instance.
Avant que je fasse cet exposé,
permettez-moi une remarque préalable, qui me semble nécessaire pour pouvoir
bien juger des problèmes européens. J'ai l'impression que la discussion souffre
du fait que, partout, les questions sont posées sous la forme d'alternatives
aiguës. On proclame qu'il doit en être ainsi. On ne se demande pas s'il n'y
aurait pas une troisième solution. Il s'agit là, surtout, de deux questions que
l'on s'est accoutumé à poser sous forme d'antithèses, celle du fédéralisme et
celle du fonctionnalisme et, aussi, de deux autres thèses, celle d'une petite
et celle d'une grande Europe. Je considère que l'on a tort de poser les questions
de cette manière.
Pour réaliser pratiquement des solutions
européennes, nous avons suivi des voies que maints critiques appellent les
voies du fonctionnalisme, c'est-à-dire que nous avons envisagé la réalisation
de certaines communautés économiques, dont la plus importante est celle du Plan
Schuman. Nous avons suivi la même méthode en ce qui concerne le domaine de la
défense européenne, mais nous l'avons toujours fait en ayant conscience que
nous arriverions ainsi de la manière la plus rapide et la plus efficace à une
solution politique.
Au cours des négociations visant à de
telles solutions particulières, nous n'avons cessé de souligner deux choses:
d'une part, que ces solutions spéciales particulières ne prennent tout leur
sens que si on ne les considère pas séparément, c'est-à-dire qu'elles ont
besoin, pour obtenir leur pleine signification, d'être complétées par une
organisation politique; d'autre part, que c'est précisément en s'attaquant aux
problèmes particuliers que l'on peut accélérer le mouvement vers l'Europe de la
manière la plus efficace.
Je pourrais apporter de nombreux exemples à
l'appui de ce que je viens d'avancer. Je me bornerai à en citer un seul. Si
nous créons la communauté de la défense européenne, nous n'intégrons d'abord
qu'un seul instrument, à savoir celui des forces de la défense. Nous mettons
donc à la disposition des États membres de cette communauté une armée homogène,
mais nous ne pouvons alors esquiver la question de savoir quel sera l'organe
qui aura à décider de l'emploi de cet instrument. Or, c'est là une décision
d'ordre politique. En poursuivant la réalisation du plan purement technique,
purement militaire, nous nous trouvons donc nécessairement amenés à apporter
une contribution décisive à l'intégration politique proprement dite de l'Europe.
Un problème analogue se présente en ce qui
concerne les questions du budget de la défense européenne. Dans les deux cas,
se pose la question inéluctable d'un contrôle parlementaire européen du pouvoir
exécutif.
On voit donc que nous entrons ainsi
directement et très rapidement dans la sphère de l'intégration politique.
De telles nécessités se présentant pour
d'autres plans aussi, on comprendra aisément combien s'impose le besoin de
définir d'une manière plus complète et de rendre plus complètes les compétences
politiques européennes et combien sont grandes les chances de réussir par cette
voie.
Il me semble aussi que l'antithèse «petite
Europe ou grande Europe» a été portée à l'extrême dans la discussion. Il me
paraît que le point faible de telles conceptions est d'avoir supposé qu'il n'y
avait qu'une forme exclusive d'organisation permettant de réaliser la
communauté européenne. Il est fort probable, cependant — même si les efforts
européens suivent le cours le plus favorable — que la réalité sera tout autre.
Je pars aussi de l'idée qu'une
participation aussi complète que possible de tous les pays européens à l'organisation
permanente de l'Europe doit être le but définitif et suprême de nos efforts. En
revanche, je crois que ce but permet fort bien l'existence de certaines
relations plus étroites, de cercles moins étendus, au sein de la grande Europe.
Je crois qu'il existera certaines communautés qui seront constituées de façon
plus intense, plus dense; ce sont les États qui, dès maintenant, sont prêts à
abandonner une partie de leur souveraineté à une communauté qu'ils auront
créée.
Telle est l'idée fondamentale du Plan
Schuman et du plan d'une communauté de la défense européenne. Or, ces
organisations n'ont jamais été considérées par nous, ou par les autres
gouvernements avec lesquels nous avons délibéré sur ce point, comme ayant un
caractère exclusif. Nous ne cesserons, tout au contraire, de répéter que ces
communautés non seulement restent ouvertes à tous les autres États européens,
mais que nous considérons aussi comme possible et souhaitable que les États qui
ne veulent pas y adhérer dans toute la force du terme s'y associent d'une façon
moins stricte.
Une autre façon d'élargir le cercle des
communautés particulièrement étroites a déjà été développée. Je citerai comme
exemple la communauté de défense européenne qui, comme telle, appartient à la
communauté atlantique. Dans l'exemple cité, la plus petite communauté est
insérée dans la plus grande en qualité de membre et, de cette manière, se
trouve établie une liaison organique des États membres de la communauté la plus
restreinte avec ceux de la communauté la plus vaste.
Je fais cette remarque en songeant,
notamment, à la Grande-Bretagne qui a déclaré que, pour certaines raisons politiques,
il lui était impossible de participer à des organisations supranationales. Je
tiens à déclarer également ici ce que j'ai déjà exprimé à diverses reprises en
d'autres lieux, à savoir que nous souhaitons de la façon la plus vive que la
Grande-Bretagne participe aux organisations européennes. Nous ne voulons ni ne pouvons
renoncer, en réorganisant l'Europe, à la force et au talent politique de la
Grande-Bretagne. Nous sentons trop bien que l'Angleterre, par son histoire, sa
vie culturelle, économique et politique, est liée au sort
de l'Europe pour nous résigner à ce que la
Grande-Bretagne ne participe pas aux événements européens de la façon la plus
intense qui lui soit possible d'accepter.
Aussi, l'assentiment de la Grande-Bretagne
au Plan Schuman et à la communauté de défense européenne, exprimé en toutes
lettres dans la déclaration de Washington et réitéré encore heureusement au
parlement britannique par le nouveau gouvernement anglais, représente un
encouragement de valeur essentielle pour notre politique. Mais cette
participation de la Grande-Bretagne, que nous souhaitons, il n'y a pas que la
seule voie qui consiste à devenir membre de plein droit des communautés les
plus étroites que nous voulons créer qui y mène. Cette participation peut se
faire sous la forme d'association avec ces communautés, ou encore en insérant
les petites communautés dans les grandes, ou en collaborant à l'Organisation
Européenne de Coopération Économique ou en coopérant au sein du Conseil de
l'Europe, pour ne nommer que les principales possibilités. Je ne crois donc pas
le fait que la Grande-Bretagne se refuse, pour le moment, à participer aux
communautés les plus étroitement unies, soit une raison pour ne pas créer ces
communautés.
Tout au contraire, le sens des réalités,
qui est un des points les plus forts avec lesquels l'Angleterre peut contribuer
à former le destin de l'Europe, lui permettra certainement de trouver
rapidement les possibilités pratiques de donner sa coopération dès que seront
créées les réalités européennes. Ces remarques préalables permettent aisément
de déceler quelle est l'attitude du gouvernement fédéral dans les questions de
politique européenne. Notre politique européenne est positive, active et
concrète. Elle est positive. En effet, le peuple allemand tout entier, à
d'infimes exceptions près, se prononce en faveur de l'évolution européenne et
désire que l'unité européenne trouve son expression sous une forme politique.
Une amère expérience a enseigné à notre
peuple qu'il faut tendre toutes ses énergies pour maintenir, développer et
défendre la culture occidentale si celle-ci doit survivre. Nous avons aussi
pleinement conscience du fait que l'unité de l'Europe est depuis longtemps
réalisée, non seulement dans le domaine culturel, mais dans le vaste domaine de
la vie sociale de ses peuples. Ce fait trouve son expression plus que symbolique
dans la convention des Droits de l'homme établie récemment sous les auspices du
Conseil de l'Europe et que les gouvernements se sont engagés à respecter. La
nécessité d'une intégration dans le domaine économique est non moins évidente.
Il y a quelques mois, le Président de cette
haute Assemblée, en un brillant résumé, a fait une profonde et durable
impression en Allemagne en exposant au Bundestag allemand, à Bonn, les raisons
de la concentration des forces économiques de l'Europe. Il a attiré l'attention
sur le fait que, dans les dernières dizaines d'années, la part de l'Europe dans
l'ensemble de la production mondiale et la productivité européenne ont baissé à
tel point que, depuis la fin de la première guerre mondiale, l'Europe n'a pu
être maintenue viable, au point de vue économique, que par l'aide généreuse des
États-Unis d'Amérique. Le Plan Marshall, a-t-il justement expliqué, n'est
qu'une nouvelle forme, un nouvel aspect de ces faits anciens. Cette dépendance,
devenue permanente, de l'économie européenne de subventions à fonds perdus du
nouveau monde, ne peut prendre fin que si l'Europe se résout à une union de ses
marchés et de sa politique sur de vastes espaces, comme cela est tenté par les
industries clefs dans le Plan Schuman, d'une manière exemplaire. C'est
seulement ainsi que peut être créé un espace économique d'une grandeur telle
qu'il permette une politique économique procédant suivant un principe moderne,
rationnel et économique.
La concentration des forces défensives est
motivée par des considérations de même nature auxquelles on ne peut se
soustraire. Une organisation homogène et stricte rehaussera la valeur des
forces armées; la standardisation des équipements facilitera la rationalisation
de la production des armements, sans parler, et c'est un point important, des
avantages politiques extraordinaires que nous nous promettons du fait que les populations
des diverses nations européennes se trouveront étroitement brassées dans une
armée homogène.
Ce sont là des exemples que l'on pourrait
multiplier. Il suffit de songer au problème des transports, des transports
aériens également, aux problèmes de l'économie, de l'électricité, de
l'agriculture, de la coopération scientifique, etc...
Lorsque l'Allemagne se prononce en faveur
de l'Europe, il ne s'agit pas seulement d'une proclamation de pure forme, ou
d'un programme ne l'engageant en rien. Le Gouvernement fédéral a l'obligation
expresse de poursuivre une politique répondant à cette profession de foi. La
Loi Fondamentale de la République fédérale contient déjà une disposition qui
prévoit le transfert de droits de souveraineté à de plus grandes communautés.
Une telle disposition représente en même temps une directive impartie au
Gouvernement fédéral. Le Bundestag allemand a souligné, une fois encore, en
toute forme, il y a un an et demi, cette directive. Récemment, encore, un peu
avant la présente Session de cette haute Assemblée, le Bundestag a pris une
décision autorisant les députés allemands, participant à cette Session, à
coopérer, dans une large mesure, aux efforts faits en vue d'une intégration.
Notre attitude, en ce qui concerne l'union européenne n'est donc plus une
question qui se pose. La réponse y a été donnée sous la forme la plus formelle.
J'ai dit ensuite que la politique
européenne du Gouvernement fédéral était active. Le Gouvernement fédéral est
résolu à ne pas attendre que d'autres pays prennent l'initiative dans la
question européenne. Il ne s'y oppose nullement, mais il veut prendre une part
active à ces efforts. Je crois que l'on commet une faute en envisageant le
problème européen sous l'aspect d'une contrainte extérieure voulue par le
destin, et non pas comme une affaire intéressant l'initiative créatrice de
l'Europe elle-même.
Il est exact que les conditions
extérieures, qui ont engagé l'Europe à réfléchir sur une organisation politique
moderne s'étendant à de vastes espaces, sont d'importance vitale. Si la menace
extérieure qui pèse sur l'Europe est si grande, cela tient au fait que le
potentiel qui menace de se dresser contre elle se trouve pratiquement réuni en
une seule main. Loin de nous l'idée d'en tirer la conclusion que la
constitution européenne devrait être conçue sur le modèle de l'État unitaire.
Entre ces deux extrêmes, l'État unitaire et l'état actuel de l'Europe, il
existe des solutions intermédiaires qui satisferont aux besoins d'unité tout en
ménageant la variété traditionnelle des conditions, des coutumes et des
intérêts particuliers légitimes des divers États. C'est là, précisément, ce que
nous appelons une fédération. Nous ne pouvons encore fournir une image exacte
de cette fédération. Nous savons seulement qu'elle sera une union embrassant
les parties de l'activité des États qui permettent et peuvent promouvoir cette
union, tout en permettant aux États membres de poursuivre, sans restriction,
leur propre vie dans d'autres domaines.
Il est vrai, dis-je, que la conscience de
cette menace venant de l'extérieur nous fait comprendre douloureusement combien
est nécessaire et urgente l'union européenne. Il serait pourtant tout à fait
faux de voir, dans cette contrainte extérieure, le seul motif, ou même le motif
décisif de nos efforts, des efforts européens. L'effort européen, pour réaliser
l'union, a des causes plus profondes et plus fortes. Ce sont des causes d'ordre
interne. Nous nous trouvons en présence du désir des peuples d'organiser
dorénavant en commun leur destinée politique. Ils sont convaincus que le moment
historique est venu de prendre des mesures décisives. Ils ont compris, en
effet, que l'ère du nationalisme touche à sa fin et que commence une évolution
menant à de nouvelles et grandes unités. Ce n'est donc pas la fatalité qui
pousse l'Europe à s'unir.
Il s'agit plutôt d'une impulsion créatrice
digne de la grande tradition européenne, et c'est la raison pour laquelle cette
nécessité subsistera même quand le danger aura déjà passé.
Enfin, la politique européenne du
Gouvernement fédéral est concrète. Nous observons avec respect et admiration la
grandeur de la conception, l'envol de l'idée et la passion raisonnée avec
lesquels on s'est mis à l'œuvre afin de poser en une seule fois et
immédiatement le si grand problème de l'unité de l'Europe. Une si grande
exigence est, à nos yeux, la marque la plus sûre de la force de l'idée
européenne, mais en tant qu'hommes politiques, en tant que réalistes, nous
croyons qu'il faut être plus modestes. La politique c'est l'art du possible,
a-t-on dit. En d'autres termes, elle doit, dans un sain réalisme, adapter ses
actes aux circonstances; si on ne peut obtenir le tout, elle doit réaliser la
partie réalisable et avoir, pour le reste, confiance dans la force de
l'évolution. Un homme politique qui ne réaliserait pas ce qui est bon, parce
qu'il ne peut obtenir ce qui est le meilleur, ou qui laisserait passer
l'instant propice et ne prendrait pas la mesure possible dans le moment
concret, parce qu'il croit que demain il réussira à faire un pas plus grand,
agirait faussement.
Il nous semble donc que, dans la question
européenne, s'applique également la maxime qui veut que l'on progresse pas à
pas. C'est suivant cette maxime que nous avons agi jusqu'à maintenant.
Nous n'avons pas hésité à entrer au Conseil
de l'Europe, à un moment où la qualité de Membre de plein droit nous était
refusée. Nous avons pris part à l'élaboration du Plan Schuman, bien que nous
ayons eu conscience que cette solution partielle était problématique et devait
rencontrer maintes difficultés dans les rapports entre la politique économique
de ceux qui sont unis dans la communauté, en ce qui concerne les industries et
la politique économique particulière d'autres industries. Nous n'avons pas
hésité à participer aux travaux d'une communauté défensive de l'Europe, bien
que cette solution partielle ait montré nettement qu'elle avait besoin d'être
complétée du côté politique. Nous nous sommes comportés de la même façon en ce
qui concerne les autres plans, que l'initiative vînt du Conseil de l'Europe ou
de certains gouvernements européens.
J'ai déjà exposé que nous ne nous sommes
pas comportés ainsi parce que nous préférions une solution partielle à une
bonne et solide solution d'ensemble. Si nous l'avons fait, c'est parce que nous
croyions que cette méthode inductive offrait l'avantage de nous rapprocher des
faits concrets qui garantissent une solution pratique et applicable, et aussi
parce que nous sommes convaincus que ces solutions partielles tendent nécessairement
à se coordonner, à fusionner, je dirai presque avec l'exactitude inéluctable
d'une loi de la nature. Nous continuerons donc à appuyer tout effort concret,
si restreint que soit son domaine d'application.
Tels sont les traits essentiels de notre
politique européenne. Le Gouvernement fédéral d'Allemagne est résolu à persister
dans cette voie, à redoubler d'énergie dans la voie de cette politique. En
effet — vous me permettrez, Monsieur le Président, de terminer ainsi mon exposé
— nous ne disposons pas d'un temps illimité pour réaliser notre programme. Les
choses en sont arrivées au point où les peuples exigent de nous, avec
impatience, des résultats concrets. Ne devons-nous pas nous demander maintenant
si nous avons réellement fait tout ce qui est en notre pouvoir, si nous avons
réellement pensé, en première ligne, à l'ensemble, à nos intérêts européens
communs, si nous avons réellement fait passer au second plan nos intérêts
particuliers, comme l'exige l'esprit d'une véritable communauté? Nous devons
nous poser sans cesse ces questions. Nous devons, avant tout, avoir conscience
que la faveur de l'instant historique ne reviendra plus.
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