MIKHAÏL GORBATCHEV :
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs, je vous suis reconnaissant de l'invitation d'intervenir
dans cette enceinte qui est l'un des épicentres de la politique européenne et
de la réflexion européenne. Cette rencontre, nous pouvons, probablement,
l'envisager également comme un témoignage de la réalité et de la progression du
processus européen.
Aujourd'hui quand le vingtième
siècle entre dans sa phase finale, quand la période d'après-guerre et la guerre
froide s'estompent dans le passé, une chance unique est offerte aux européens,
celle de jouer dans l'édification d'un nouveau monde un rôle qui soit digne de
leur passé, de leur potentiel économique et spirituel.
Aujourd'hui
plus que jamais la communauté mondiale connaît des mutations profondes.
Plusieurs de ses composantes traversent une période décisive pour leur destin.
La base matérielle de la vie, ses paramètres spirituels subissent une
transformation radicale. Des facteurs de progrès nouveaux et toujours plus
puissants apparaissent. Mais à leur côté et dans leur sillage continuent à
exister, et même s'accentuent les dangers inhérents à ce progrès. Il est
absolument indispensable de faire tout ce qui est dans le pouvoir de la pensée
moderne pour que l'homme puisse continuer à s'acquitter de la mission qui lui
appartient sur cette terre et peut-être dans l'univers afin qu'il puisse
s'adapter au nouveau stress de la vie moderne et sortir vainqueur de la lutte
pour la survie des générations présentes et futures. Cette considération
concerne l'humanité toute entière. Quant à l'Europe, ceci est trois fois plus
vrai, qu'il s'agisse de la responsabilité historique, de l'urgence et de l'acuité
des problèmes et des objectifs, ou encore des potentialités.
La situation en Europe a
également cela de particulier qu'elle ne pourra être à la hauteur de cette
mission, répondre aux espoirs de ses peuples et accomplir son devoir
international à cette nouvelle étape de l'histoire mondiale qu'en reconnaissant
son indivisibilité et en débouchant sur des conclusions adéquates.
Dans les années 20 était
largement répandue la théorie du « déclin de l'Europe ». Aujourd'hui encore
dans certains milieux elle est à la mode. Nous ne partageons pas le pessimisme
au sujet de l'avenir de l'Europe. L'Europe était la première à ressentir les
incidences de l'internationalisation économique, d'abord, et ensuite, de toute
la vie sociale. Ici l'interdépendance des pays, en tant qu'étape plus élevée du
processus d'internationalisation, s'est fait sentir plutôt que dans d'autres
régions de la planète. A plus d'une reprise l'Europe a été l'objet de
tentatives de l'union par la force. Mais elle connaît tout aussi bien les espoirs
nobles d'une association bénévole et démocratique des peuples européens.
Victor Hugo disait :
« Un jour viendra où vous
France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes
nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse
individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous
constituerez la fraternité européenne... Un jour viendra où il n'y aura plus
d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les
esprits s'ouvrant aux idées ».
Il ne suffit plus aujourd'hui
de constater la communauté des destinées et l'interdépendance des États
européens. L'idée de l'union
européenne doit être réexaminée et concertée par toutes les nations - grandes,
moyennes ou petites. Serait-il réaliste de formuler ainsi la question ? Je suis
conscient que nombreux sont ceux en Occident qui estiment que la difficulté
principale réside dans l'existence de deux systèmes sociaux. Or, la difficulté
se présente plutôt sur un autre plan ; il s'agit d'une conviction fort répandue
(voire d'une prise de position politique) selon laquelle surmonter la scission
de l'Europe signifie surmonter le socialisme. Cette politique est pour le moins
celle orientée à la confrontation. Aucune union ne pourra être faite à partir
de ces approches.
L'appartenance des États
européens aux systèmes sociaux différents est une réalité. Et la reconnaissance
de ce fait historique, le respect du droit souverain de chaque peuple de
choisir librement un régime social, constitue une prémisse primordiale d'un
processus européen normal. L'organisation sociale et politique des différents
pays a subi par le passé des modifications et ce processus peut continuer.
Toutefois, c'est aux peuples d'en décider et de faire leur choix.
Toute ingérence dans les
affaires intérieures, toute tentative de limiter la souveraineté des États
qu'il s'agisse des amis et alliés ou de n'importe quel autre État, sont
inadmissibles.
Les différences entre les États
ne peuvent pas être effacées. Comme il a été souligné à plusieurs reprises,
elles sont mêmes bénéfiques. A conditions, bien entendu, que la compétition
entre les différents types de sociétés soit orientée vers l'amélioration des
conditions de vie matérielles et spirituelles de l'homme.
Grâce à la perestroïka l'URSS
pourra participer à part entière à cette compétition honnête, égale et
constructive. Malgré toutes les insuffisances et tous les retards, nous sommes
conscients des avantages que présente notre système social et qui découlent des
ses facultés naturelles.
Aussi sommes nous convaincus de
pouvoir les mettre à contribution à notre propre avantage et à l'avantage de
l'Europe.
Le temps est venu de mettre aux
archives les postulats de la guerre froide, quand l'Europe était considérée
comme une arène de confrontation divisée en zones d'influence et en zones
tampons, comme site de confrontation militaire, théâtre de guerre. Dans notre
monde interdépendant les notions géopolitiques nées dans une autre époque se
révèlent au même degré impuissantes du point de vue de la politique que les
lois de la mécanique classique appliquées à la théorie des quanta.
Cependant c'est précisément à
partir de ces stéréotypes obsolètes que l'on continue – certes moins que dans
le passé - à suspecter l'Union soviétique d'avoir des plans hégémonistes, de
vouloir dissocier les Etats-Unis de l'Europe. Certains voudraient même placer
l'URSS en dehors de l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, en la limitant par
l'espace « de Brest à Brest ». L'URSS serait trop grande pour la cohabitation ;
les autres, à côté d'elle, seraient mal à l'aise.
Les réalités du présent et les
perspectives pour un avenir prévisible sont évidentes : l'URSS et les
Etats-Unis sont des composantes naturelles de la structure internationale et
politique de l'Europe. Leur participation à son évolution est non seulement
justifiée, mais aussi prédéterminée par l'histoire même. Aucune autre approche
ne peut être acceptée. D'ailleurs, elle ne servira à rien.
Depuis des siècles l'Europe
apporte sa contribution irremplaçable à la politique, à l'économie, à la
culture mondiales, au développement de la civilisation toute entière. Son rôle
dans l'histoire mondiale est universellement reconnu et apprécié.
Pourtant n'oublions pas que les
métastases de l'esclavage colonial se sont propagées dans le monde à partir de
l'Europe. C'est ici qu'est né le fascisme. C'est ici que les guerres les plus
destructives ont commencé.
Alors, l'Europe qui a toutes
les raisons d'être fière des ses réalisations est encore très loin de
s'acquitter de sa dette face à l'humanité. Ceci reste toujours à faire. Elle
devra le faire en cherchant à transformer les relations internationales dans
l'esprit d'humanisme, d'égalité, de justice, en donnant l'exemple de la
démocratie et des réussites sociales dans ses propres pays.
Le processus d'Helsinki a déjà
entamé cette grande oeuvre de portée globale. Après Vienne et Stockholm, ce
processus a été porté jusqu'à une étape fondamentalement nouvelle. Les
documents qui ont été adoptés constituent aujourd'hui l'incarnation optimale de
la culture politique et des traditions morales des peuples européens.
Dorénavant, tous ceux qui participent au processus européen sont appelés à
mettre à contribution le plus complètement possible les prémisses créées grâce
à notre oeuvre commune. Notre idée de la maison européenne commune est, elle
aussi, mise au service de cette cause.
Cette idée est née de la prise
de conscience des nouvelles réalités. De la compréhension du fait que
l'évolution rectiligne des
relations inter-européennes qui s'est poursuivie jusqu'au dernier quart du
vingtième siècle ne correspond plus à ces réalités.
Elle est liée à la refonte
économique et politique dans notre pays, pour laquelle il était indispensable
que de nouveaux rapports soient établis en premier lieu dans la partie du monde
dont fait partie l'Union soviétique et à laquelle nous sommes liés plus que
quiconque depuis des siècles.
Nous avons également pris en
considération que le fardeau colossal des armements, le climat de
confrontation ont non seulement
entravé le développement normal de l'Europe, mais ont en même temps empêché -
en termes économiques, politiques et psychologiques - notre pays de s'associer
à part entière au processus européen et engendré des impulsions déformatrices
dans son développement.
Tels sont les motifs qui nous
ont poussé à donner un nouvel essor à notre politique européenne qui,
d'ailleurs, a depuis toujours
pour nous une valeur intrinsèque.
Au cours des rencontres qui ont
eu lieu ces derniers temps avec des leaders européens il a été question,
notamment, de l'architecture de la "maison commune" ainsi que des
techniques de sa construction et même de son « ameublement ». Les entretiens à
ce sujet, à Moscou et à Paris, avec le président François Mitterrand, ont été
fructueux etd'une grande envergure. Néanmoins, même aujourd'hui je ne prétends
pas avoir dans ma poche un projet tout prêt de cette maison.
J'évoquerai un seul élément, le
plus important, à mon avis.
En fait il s'agit d'une restructuration
de l'ordre international établi en Europe qui pourrait faire avancer
résolument au premier plan les
valeurs européennes, substituer l'équilibre des intérêts à l'équilibre
traditionnel.
Que pourrait-on dire
concrètement à ce sujet ?
Au premier plan viennent les
questions de sécurité.
Dans le contexte du nouveau
mode d'idées nous avons commencé par un réexamen critique des idées que nous
avions du face-à-face militaire eu Europe, de l'importance du danger extérieur,
du rôle du facteur de la force dans le renforcement de la sécurité.
C'est une oeuvre difficile,
parfois douloureuse. Mais en fin de compte on est arrivé à des décisions
permettant de rompre le cercle
vicieux « action – contre-action » les rapports entre l'Est et l'Ouest.
Sans aucun doute le départ a
été donné grâce aux efforts conjugués soviéto-américains dans le domaine du
désarmement nucléaire et leur rôle a été considérable.
Le traité sur les missiles à
moyenne et à plus courte portée n'a pas été tout simplement approuvé par les
européens. Nombreux étaient ceux qui ont contribué à sa conclusion. Les
négociations de Vienne ont ouvert une étape fondamentalement nouvelle du
processus de réduction des
armements.
Ce ne sont plus deux
puissances, mais vingt-trois États qui participent. Et les trente-cinq
participants au processus européen continuent à élaborer les mesures de
confiance dans le domaine militaire. Ces deux négociations ont lieu dans les
locaux différents, et pourtant elles sont intimement liées. Personne ne saurait
être étranger à l’œuvre de l'édification de la paix en Europe. Tous les
partenaires de cette entreprise sont égaux et chacun, y compris les pays
neutres et non-alignés, assume sa part de responsabilité face à son peuple et
face à l'Europe.
La philosophie du concept de la
maison européenne commune exclut toute probabilité d'un affrontement armé,
toute possibilité de recourir à la force militaire employée par une alliance
contre une autre, à l'intérieur des alliances, où que ce soit.
Elle propose de substituer la
doctrine de modération à celle de dissuasion. Et ce n'est pas un jeu de
notions, mais la logique même du développement européen dictée par la vie.
Nos objectifs aux négociations
de Vienne sont notoires. Nous estimons qu'il est tout à fait possible, -
d'ailleurs, le président des
Etats-Unis se prononce dans le même sens - d'abaisser considérablement dans les
deux ou trois ans à venir, le niveau des armements en Europe, à condition, bien
entendu, que toutes les asymétries et tous les déséquilibres soient supprimés.
Je souligne qu'il s'agit de
toutes les asymétries et de tous les déséquilibres. Aucun double standard ne
peut être accepté dans ce contexte.
Nous sommes convaincus qu'il
est temps de commencer également des négociations sur les moyens
nucléaires tactiques entre
toutes les parties concernées.
Ici, l'ultime objectif consiste
à éliminer complètement cette arme. Elle menace uniquement les Européens et ces
derniers n'ont pas du tout l'intention de se battre entre eux. Alors, qui
aurait besoin de cette arme et pourquoi ? Liquider les arsenaux nucléaires ou
les conserver à tout prix ? Est-ce que la stratégie de dissuasion nucléaire
renforce la stabilité ou la sape ?
Sur ces questions, les
positions de l'OTAN et du Pacte de Varsovie se présentent comme étant
diamétralement opposées.
Toutefois, nous ne dramatisons pas les divergences. Nous-mêmes nous cherchons
des issues et nous y invitons nos partenaires. Nous estimons en effet, que
l'élimination des armes nucléaires est un processus qui se déroule par étapes.
Une partie du chemin qui nous
sépare de l'élimination complète des armes nucléaires, les Européens peuvent la
parcourir tous ensemble, sans renoncer à leurs positions respectives: l'URSS
peut rester fidèle aux idéaux d'un monde sans armes nucléaires et l'Occident au
concept de « dissuasion minimale ».
Pourtant, il faut bien
comprendre ce que cache le terme « minimal », et par où passe la limite au-delà
de laquelle le potentiel de riposte nucléaire se transforme en potentiel
offensif. Dans ce domaine les ambiguïtés ne manquent pas et tout ce qui n'est
pas explicite ne peut que générer la méfiance.
Alors pourquoi ne pas se réunir
comme experts de l'URSS, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France,
ainsi que des Etats qui ont sur leurs territoires des armes nucléaires, et ne
pas procéder à un examen approfondi de ces problèmes ? Si ces experts
arrivaient à des évaluations communes, au niveau politique le problème serait
également simplifié.
S'il devient apparent que les
pays de l'OTAN sont disposés à entrer avec nous en négociations sur les armes
nucléaires tactiques, nous pourrions, naturellement après avoir consulté nos
alliés, procéder sans retard à la poursuite des réductions unilatérales de nos
missiles nucléaires tactiques en Europe.
L'Union soviétique et les
autres pays du Pacte de Varsovie ont déjà commencé unilatéralement et sans
rapports aux négociations de
Vienne à réduire leurs forces armées et armements sur le territoire de
l'Europe. Leurs structure et leur composition sont en train de se transformer
en conformité avec la doctrine défensive de suffisance raisonnable.
Du point de vue du volume des
armements et des effectifs et du point de vue de leur stationnement,
formation, et activité
militaire, cette doctrine exclut la possibilité physique de lancer une
offensive et de mener des opérations militaires d'envergure. Dès cette année
nous procédons à la réduction des dépenses nucléaires. De toute façon, comme
l'a déclaré le Soviet suprême de l'URSS, nous avons l'intention, si la situation
est favorable, de diminuer sensiblement – de une fois et demi à deux fois - la
part de nos investissements de défense dans le revenu national d'ici l'an 1995.
Nous apportons une attention
soutenue à la conversion de l'industrie militaire. Tous les pays qui
participent au processus européen devront faire face, d'une manière ou d'une
autre, à ce problème. Nous sommes prêts à échanger nos points de vue et nos
expériences. Nous supposons qu'il est également possible d'engager le potentiel
des Nations Unies, d'instituer, par exemple, dans le cadre de la Commission
économique pour l'Europe un groupe de travail conjoint en vue d'étudier des
problèmes de conversion.
Devant les parlementaires
européens, en d'autres termes, devant l'Europe toute entière, je voudrais
réitérer nos positions claires et simples sur les problèmes du désarmement.
Elles sont le fruit d'une
nouvelle pensée et trouvent leur expression législative étant consacrées au nom
de tout notre peuple, dans la résolution du Congrès des députés du peuple de
l'URSS, aux termes de laquelle : nous nous prononçons pour un monde
dénucléarisé, pour l'élimination de toute arme nucléaire d'ici au début du
prochain siècle ; nous sommes pour l'élimination complète des armes chimiques
dans l'immédiat et pour la déstructuration définitive de la base industrielle
de la production de ces armes ; nous sommes pour les réductions radicales des
armements et des forces armées conventionnels jusqu'aux niveaux de la
suffisance défensive raisonnable qui exclut l'emploi de la force militaire
contre les autres États à des fins offensives ; nous sommes pour le retrait
total de toutes les troupes étrangères du territoire des autres pays ; nous
sommes résolument contre la création de toute arme spatiale ; nous sommes pour
la dissolution des blocs militaires et l'ouverture immédiate, à cet effet, d'un
dialogue politique entre eux, pour la création du climat de confiance excluant
toutes les actions de surprise ; nous sommes pour un contrôle en profondeur,
continu et efficace, de tous les traités et accords qui peuvent être conclus
dans le domaine du désarmement.
Je suis convaincu qu'il est
grand temps pour les Européens de mettre leur politique et leur comportement en
conformité avec le nouveau raisonnement, non de se préparer à la guerre, de
s'intimider, de rivaliser dans le perfectionnement des armes, et surtout pas
dans les tentatives de compenser des réductions effectuées, mais apprendre à
créer ensemble la paix et de construire ensemble une base solide pour cette
paix.
Si la sécurité constitue les
fondements de la maison européenne commune, son ossature, c'est la coopération
multiforme. Le dialogue intense entre les États, au niveau bilatéral et
multilatéral est le signe de l'avènement d'une nouvelle situation en Europe et,
d'ailleurs, dans le monde entier. L'éventail des accords, des traités, des
autres arrangements est devenu plus vaste. Les consultations officielles sur
différents problèmes sont devenues aujourd'hui chose courante.
Pour la première fois des
contacts ont été établis entre l'OTAN et le Pacte de Varsovie, la Communauté
européenne et le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM), sans parler
de nombreuses organisations politiques et sociales des deux parties de
l'Europe.
Nous avons noté avec
satisfaction la décision de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe
concernant l'octroi à l'Union
soviétique du statut d'invité spécial. Nous sommes disposés à coopérer. Mais
nous croyons, néanmoins, qu'il est possible d'aller encore plus loin. Nous
serions prêts à adhérer à certaines conventions internationales du Conseil de
l'Europe, ouvertes à d'autres États dans le domaine de l'écologie, de la
culture, de l'enseignement, de la télédiffusion. Nous exprimons notre volonté
de coopérer avec des institutions spécialisées du Conseil de l'Europe.
C'est à Strasbourg que se
trouvent l'Assemblée parlementaire, le Conseil de l'Europe et le Parlement
européen. Si nos relations
s'intensifient, si elles prennent un caractère régulier, nous serions prêts -
certes, avec le consentement du gouvernement français - à ouvrir ici notre
consulat général.
Il va sans dire que les
relations interparlementaires sont d'une grande portée pour la dynamisation du
processus européen. Un pas
important a déjà été fait : à la fin de l'année dernière une première rencontre
des chefs des parlements des trente-cinq États a eu lieu à Varsovie. Nous avons
apprécié à sa juste valeur la visite en URSS de la délégation de l'Assemblée
parlementaire du Conseil de l'Europe dirigée par M. Björck, son président.
J'espère, qu'elle a pu tâter le pouls, fort et bien prononcé de la perestroïka
soviétique.
Nous croyons que les premiers
contacts établis avec le Parlement européen sont très importants.
D'ailleurs, nous avons pris
note de ses résolutions relatives aux problèmes militaro-politiques qui
représentent selon sa propre
estimation « le noyau du consensus des pays de l'Europe Occidentale dans le
domaine de la sécurité ». A cette occasion je ne peux pas ne pas mentionner les
plans de défense de l'Europe occidentale.
Naturellement, chaque État et
chaque association d'États ont droit de prendre soin de leur sécurité sous des
formes qu'ils estiment appropriées. Seulement, il importe que ces formes
n'entrent pas en contradiction avec les tendances positives de notre époque,
celles de la détente militaire, qu'elles ne conduisent pas à l'accentuation des
poussées vers la confrontation dans la politique européenne et, par là même,
vers une nouvelle course aux armements.
L'inclusion à l'ordre du jour
de la convocation, dans un an et demi ou deux ans, d'une deuxième réunion du
type d'Helsinki reste une nécessité pressante. Il est temps que la présente
génération des dirigeants des pays européens, des États-Unis et du Canada,
examinent hors les questions d'actualité le problème concernant leur conception
des prochaines étapes de la progression vers une communauté européenne du vingt
et unième siècle.
En ce qui concerne le contenu
économique de la maison européenne commune nous considérons comme réelle,
quoique éloignée, la perspective de la création d'un large espace économique
s'étendant de l'Atlantique à l'Oural et caractérisé par une forte
interdépendance de ces parties orientale et occidentale.
La transition qui s'opère en
Union soviétique vers une économie plus ouverte a, dans ce sens, une
importance fondamentale,
d'ailleurs, pas uniquement pour nous-mêmes, pour accroître l'efficacité de
l'économie nationale et pour
satisfaire aux demandes des consommateurs. Cela renforcera l'interdépendance
des économies de l'Est et de l'Ouest et, par conséquent, aura une influence
favorable sur l'ensemble des relations européennes.
Des traits similaires du
fonctionnement pratique des mécanismes économiques, la consolidation des liens
et un plus grand intérêt économique, l'adaptation réciproque, la formation de
spécialistes dans les domaines appropriés, autant de facteurs ayant une action
à long terme dans la voie de la coopération, autant de gages de stabilité de
l'ensemble du processus européen et international.
Les contacts que j'ai eus avec
les responsables du monde des affaires du Royaume-Uni, de la République
Fédérale d'Allemagne, de la France, de l'Italie, des États-Unis au cours de mes
visites à l'étranger et, plus d'une fois, à Moscou, témoignent d'un intérêt
accru pour traiter avec nous dans les conditions de la perestroïka.
Nombreux sont ceux qui ne
dramatisent pas nos difficultés, qui tiennent compte des particularités du
moment, où la réforme détruit
les mécanismes obsolètes plus vite qu'elle n'en construit de nouveaux.
J'ai remarqué également la
ferme volonté des gens d'affaires expérimentés et possédant une mentalité
politique ouverte d'accepter
des risques justifiés, de faire preuve d'audace, d'agir en regardant l'avenir.
Cela servira d’ailleurs, non
seulement les intérêts du business mais aussi les intérêts du progrès et
de la paix, de l'humanité toute entière. Il semble que l’on réalise davantage
que limiter les relations avec nous à un profit commercial immédiat, signifie
laisser échapper la chance d'une coopération économique d'envergure et à long
terme – beaucoup plus avantageuse - en tant que composante du processus
européen.
J'estime que cette auguste
Assemblée sera d'accord pour constater qu'il serait peu normal d'envisager à
notre époque des relations économiques en dehors des liens scientifiques et
techniques. Or, dans les relations Est-Ouest ces derniers sont dans une large
mesure affaiblis par le COCOM. Et si, en pleine guerre froide une pareille
pratique pouvait se justifier d'une manière ou d'une autre, aujourd'hui,
plusieurs prohibitions n'ont pas l'air simplement dérisoires.
Certes, chez nous aussi, il y a
trop de choses qui passent pour être confidentielles. Mais nous avons déjà
commencé à y remédier. Nous commençons à nous débarrasser de notre « COCOM intérieur
» - le cloisonnement qui existe entre les industries militaire et civile.
Alors, faudrait-il peut-être,
que les spécialistes et les représentants des gouvernements appropriés se
réunissent et déblaient cet encombrement créé par la guerre froide ?
Faudrait-il établir des limites raisonnables, dictées vraiment par la sécurité,
pour ce qui est secret et libérer le flot, dans les deux sens, du savoir
scientifique et de l'art technologique ?
L'Est comme l'Ouest de l'Europe
porte le même intérêt pour des projets d'actualité tels que : la construction
d'une ligne ferroviaire transeuropéenne à grande vitesse ; le programme
européen concernant l'élaboration de nouvelles technologies et du nouvel
équipement, l’utilisation de l’énergie solaire, l'élaboration des procédés de
traitements et d'enterrement des déchets nucléaires et de l'accroissement de la
sécurité des centrales atomiques ; l'ouverture des chaînes additionnelles de
transmission de l'information avec l'utilisation des fibres optiques ; la mise
sur pied du système européen de transmission par satellite.
La mise au point du système de
télévision à haute définition est extrêmement intéressante. Les recherches sont
menées dans plusieurs pays et ce système a un grand avenir pour être installé
dans la maison européenne. Naturellement, le modèle le plus perfectionné et le
moins coûteux sera préférable.
En 1985, nous avons avancé à
Paris avec le Président Mitterrand, l'idée de création à titre expérimental
d'un réacteur thermonucléaire international. Il sera une source intarissable
d'énergie non polluante. Ce projet qui est le résultat de l'utilisation des
potentiels scientifiques réunis de l'URSS, des pays de l'Europe occidentale,
des États-Unis, du Japon, des autres États, a atteint actuellement sous l'égide
de la Agence internationale de l’énergie atomique l'étape des recherches
pratiques. Selon les prévisions des savants, la construction d'un tel réacteur
peut être effectuée vers la fin du siècle. Il s'agit d'une réalisation
grandiose de la pensée scientifique et de l'art technologique qui contribuera à
l'avenir de l'Europe et du monde entier.
Le modèle du rapprochement
économique entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest sera déterminé, non pas en
dernier lieu, par des rapports entre les associations régionales occidentales:
la Communauté européenne, l'AELE et le CAEM. Chacune d'elles possède sa propre
dynamique du développement et ses propres problèmes.
Nous ne doutons pas que les
processus d'intégration en Europe occidentale ne prennent une qualité nouvelle.
Nous n'avons pas, non plus,
tendance à sous-estimer l'apparition, ces prochaines années, d'un marché
européen unique.
Le Conseil de l'assistance
économique mutuelle s'est également orienté vers la construction d'un marché
unifié, quoique là, nous sommes très en retard. La marche de la restructuration
du CAEM déterminera pour beaucoup ce qui sera développé plus vite dans les
années à venir - les rapports entre le CAEM et la Communauté européenne, en
tant que groupements, ou bien les liens entre les pays socialistes isolés et la
Communauté européenne.
Il est fort possible que l'une
ou l'autre forme s'avance au premier plan aux différentes étapes. Il est
important que toutes les deux s'inscrivent dans la logique de la construction
de l'espace économique européen.
Pour ce qui est de l'URSS, nous
avons à l'ordre du jour l'accord commercial et économique entre notre pays et
la Communauté européenne. Nous attribuons à cet acte une importance
substantielle également du point de vue des intérêts européens. Naturellement,
nous sommes loin d'opposer nos liens avec la Communauté européenne à ceux que
nous avons avec d'autres associations ou États. Les pays membres de l'AELE sont
nos bons partenaires de vieille date. Il serait peut-être raisonnable de parler
du développement des relations entre le CAEM et l'AELE, d'utiliser cette
direction de la coopération multilatérale dans l'édification d'une nouvelle
Europe.
La maison européenne doit être
écologiquement propre. La vie a donné des leçons bien pénibles. Depuis
longtemps, les grands problèmes écologiques en Europe ont débordé le cadre
national. Il est donc urgent de créer un système régional de la sécurité
écologique. Il est tout à fait possible que cela soit précisément dans cette
direction prioritaire que le processus européen se développe le plus vite.
L'élaboration d'un programme écologique continental à long terme pourrait
représenter un premier pas. Notre proposition concernant la création d'un
centre d'assistance écologique urgente auprès de l'ONU est connue.
L'Europe a l'extrême besoin
d'un pareil centre ou d'une agence dotée du système d'avertissement.
Peut-être faudra-t-il réfléchir
à la fondation d'un institut européen de recherches écologiques et d'expertise,
et - le temps venu - à la création d'un organisme aux pouvoirs d'adopter les
décisions exécutoires.
La réunion de Vienne a statué
sur la convocation, cet automne à Sofia, du forum de trente-cinq pays sur les
questions d'écologie. On pourrait y examiner ces problèmes sur le plan
pratique. Des catastrophes naturelles et technologiques causent à l'humanité
des pertes de plus en plus lourdes. Des dizaines et même des centaines de
milliers de vies sont emportées chaque année. Des moyens énormes sont dépensés
pour réparer les dégâts. Les savants sonnent l'alarme: la vulnérabilité des
villes les plus grandes face aux calamités naturelles ne cesse de s'accentuer.
Nous sommes au courant des projets d'envergure concernant la lutte contre ce
danger global grandissant.
L'Académie des sciences de
l'URSS a fondé l'Institut international de la théorie des pronostics des
séismes, et invite les scientifiques de tous les pays à participer à
l'établissement d'une base scientifique relative aux problèmes de sécurité des
grandes villes, à la prévision des sécheresses, de l'éventualité des
catastrophes climatiques. L'Union soviétique est prête à fournir, à ces fins,
des satellites, des navires océaniques, des technologies de pointe. Il serait
sans doute utile d'associer aux activités internationales de sauvetage et de restauration
les organismes militaires de divers pays, avant tout les services médicaux et
de génie.
Le contenu humanitaire du
processus européen est l'un de ses éléments primordiaux.
On ne peut pas se sentir en
sécurité dans un monde où il est possible de réduire les arsenaux de guerre,
mais où, en même temps, les droits de l'homme sont lésés. Cette conclusion,
nous l'avons faite une fois pour toutes.
A cet égard, les décisions
adoptées à la rencontre de Vienne marquent une véritable percée. Est dressé tout
un programme d'actions conjuguées des pays européens prévoyant des activités
les plus variées. Un accord existe sur plusieurs questions qui étaient tout
récemment encore une pierre d'achoppement dans les relations entre l'Est et
l'Ouest.
Nous sommes convaincus que le
processus européen doit avoir des fondements juridiques solides. Telle que nous
la concevons, la maison européenne commune est une communauté de droit. Et nous
avons déjà pris, quant à nous, cette direction.
D'ailleurs, voici ce que dit la
décision du Congrès des députés du peuple de l'URSS: « En s'appuyant sur les règles et les
principes internationaux, y compris ceux de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, des arrangements et des accords d'Helsinki, en accordant
avec eux sa législation interne, l'URSS contribuera à la création d'une
communauté mondiale des États de droit. »
Là aussi l'Europe pourrait
servir d'exemple. Il est évident que son intégrité du point de vue du droit
international se compose de
particularités nationales et sociales des États. Chaque pays européen, les
États-Unis et le Canada ont leurs propres lois et traditions dans la sphère
humanitaire. Mais il existe aussi des principes et des règles universellement
reconnus.
Il serait probablement utile de
comparer les législations dans le domaine des droits de l'homme en instituant à
cette fin soit un groupe de travail ad hoc, soit un institut européen de
droit humanitaire comparatif. Etant donné la différence des systèmes sociaux,
il est peu probable que nous arrivions à faire totalement coïncider nos points
de vue. Toutefois, la rencontre de Vienne et les récentes conférences de
Londres et de Paris ont montré qu'il existait des opinions et des approches
communes et qu'il était possible de les multiplier.
Ceci nous autorise à évoquer
l'éventualité de la création d'un espace juridique européen. L'Union soviétique
et la France ont avancé au Forum humanitaire de Paris une initiative à cet
effet en se portant coauteurs. Elle a été appuyée par la République Fédérale d'Allemagne,
l'Autriche, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie. Il convient d'élargir
sensiblement la coopération dans la culture, d'assurer une interaction plus
profonde dans le domaine des sciences humaines, les échanges d'informations
doivent être placés à un niveau plus élevé.
Bref, il faut intensifier le
processus permettant aux Européens de se connaître mieux. Un rôle particulier
pourrait revenir à cet égard à la télévision, grâce à laquelle non pas des
centaines et des milliers, mais des dizaines et des centaines de millions de
personnes pourraient se contacter.
Toutefois, là aussi des dangers
existent. Il importe d'en être conscient. La scène théâtrale, les écrans, les
salles d'exposition, les maisons d'édition sont envahis par la pseudo-culture,
étrangère à l'Europe. Une attitude dédaigneuse à l'égard de la langue nationale
se manifeste. Tout ceci doit mobiliser notre attention et nos efforts concertés
dans l'esprit du respect des valeurs nationales authentiques de chaque pays. On
peut parler des échanges d'expérience dans le domaine de la préservation du
patrimoine culturel, des activités relatives à l'initiation mutuelle des
peuples européens aux particularités de leurs cultures réciproques, de la
promotion en commun de l'étude des langues.
Il pourrait également s'agir de
la coopération dans le domaine de la conservation des monuments de l'histoire
et de la culture, de la coproduction cinématographique, des émissions de
télévision et des films vidéo, popularisant les acquis des cultures nationales
et les meilleurs échantillons d’œuvres d'art du passé et du présent.
Mesdames, Messieurs, c'est
seulement en unissant leurs efforts que les Européens sauront relever les défis
du siècle à venir.
Nous sommes animés par la
conviction qu'ils ont besoin d'une Europe unie, pacifique et démocratique,
gardant tout son caractère hétérogène et fidèle aux idéaux humanistes
universels, une Europe prospère, tendant la main à toutes les autres parties du
monde. Une Europe qui progresse avec assurance vers son avenir.
C'est dans cette Europe que
nous situons notre propre avenir.
La perestroïka qui a
pour objectif une rénovation profonde de la société soviétique prédétermine, de
ce fait, notre politique visant à favoriser cette direction particulière de
l'évolution de l'Europe. La perestroïka change notre pays, l'emmène vers
de nouvelles frontières. Ce processus ira en s'approfondissant, en transformant
la société soviétique sous tous les rapports - dans les domaines économique,
social, politique, moral, dans toutes les affaires intérieures et dans les
rapports humains.
Nous avons entamé cette voie
d'une manière ferme et résolue. La preuve en est donnée par la résolution du
Congrès des députés du peuple de l’URSS, intitulée « Les orientations
principales de la politique intérieure et extérieure de l'Union soviétique »
document qui, au nom du peuple, a consacré notre choix, notre voie de la perestroïka.
J'attire votre attention sur
cette décision. Elle a une importance substantielle et révolutionnaire pour les
destinées du pays que vous-mêmes appelez « superpuissance ».
A la suite de sa mise en
oeuvre, vos gouvernements, parlements et peuples auront prochainement affaire à
un État socialiste tout à fait différent de ce qu'il était jusqu'à présent. Et
ceci ne manquera pas d'avoir un impact favorable - peut-il être autrement? -
sur tout le processus mondial.
Je vous remercie de votre
attention.
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